A l’heure du confusionnisme débridé des prises de position concernant l’école et de leurs échos dans les médias, du délitement intellectuel de certaines personnalités incapables d’autre chose que de radoter sur l’école, en reprenant les vieux discours des années 80 sur la « décadence », le « désastre », la « destruction de l’école », on aimerait tant pouvoir débattre sereinement et sérieusement.
Je viens d’être partie prenante d’une « controverse » avec Robert Delord, dans le cadre d’une université de rentrée de la Ligue de l’enseignement autour de l’interdisciplinarité et de la réforme du collège. Si je ne partage pas sa hargne contre cette malheureuse réforme, si je déplore qu’il se laisse aller à brandir quelques exemples caricaturaux d’EPI sans évoquer précisément les excellentes choses qui se font déjà , je peux partager avec lui de vraies convictions. Par exemple l’intérêt de la pédagogie de projet, et en fait de l’interdisciplinarité bien comprise, c’est-à-dire ce qui permet de croiser des disciplines, y compris dans l’intérêt des disciplines. Je peux même partager avec lui son indignation devant la présentation parfois caricaturale qui a pu être faite de l’enseignement des langues anciennes, sur le site du Ministère notamment. Il y a certainement eu de considérables maladresses de communication qui n’ont pas toujours permis de débattre avec des gens de bonne foi sur la place de l’étude de la langue latine par exemple. Je continue à approuver globalement ce qui s’est mis en place, mais je n’en salue pas moins les efforts d’innovation dans cette discipline réalisés depuis nombre d’années : on est sans doute loin de l’enseignement si ennuyeux que j’ai subi, avec un faible apport sur
le long terme pour moi. Reste que les EPI pourront sans doute permettre de belles réalisations et une réflexion sur ce que peut être un travail interdisciplinaire avec les langues anciennes. Et que d’un autre côté, ce qui agace et braque certains dont je suis, c’est la prétention de nombre de partisans de langues anciennes à considérer leur discipline comme l’alpha et l’oméga (oui, du grec) ou le nec plus ultra (ah, vous voyez que le latin est utile !) alors qu’il y a bien d’autres manières de se former l’esprit, que l’étude grammaticale du latin n’est pas forcément un moyen privilégié de comprendre le fonctionnement si différent de notre langue, qu’on peut tout à fait travailler sur l’origine des mots en dehors d’heures estampillées LCA… Et au passage, il reste essentiel de reconnaitre les zones d’ombre des civilisations grecque et romaine ne me semble pas toujours admis puisqu’on m’a accusé de trop mettre l’accent là-dessus. Je ne peux quand même pas faire travailler sur la fin de l’Odyssée en taisant que massacrer les familles des prétendants est un crime horrible, contexte ou pas, ou évoquer le côté poète de cour de Virgile, dont les éloges des « bienheureux cultivateurs » sonnent aussi faux que plus tard le « batifolage » des bons paysans de madame de Sévigné, etc. Sinon, on est dans la même problématique que le « roman national » cher à François FIliion ou Zemmour mais appliqué à nos « admirables pères ». De même que Amartya Sen a montré que la démocratie n’est pas seulement née à Athènes. On peut admirer sans aduler !
Mais revenons au débat, à la controverse. Ils sont au cœur de la démocratie,et d’ailleurs, il faudrait davantage former les élèves à les pratiquer très tôt. Pouvoir discuter donc avec un interlocuteur qui sait de quoi il parle, qui n’est pas un phraseur, qui n’est pas borné, avec qui on peut éclaircir points d’accord et de désaccord est réconfortant et salutaire. Malheureusement, on est d’un point de vue général dans les polémiques, avec des non-experts (même pas pseudo) qui ne connaissent rien aux réalités de l’école (les Onfray, Julliard, Finkielkraut), qui resservent toujours les mêmes exemples ou de défenseurs d’une idée totalement réactionnaire de l’école, et pas seulement de l’école (Bellamy, qui a sans doute des convictions de catholique engagé, ce qui ne l’empêche pas d’affirmer n’importe quoi, et Brighelli qui n’en a pas d’autre-de conviction- que celle de mettre en avant son égo et joue désormais les Doriot-Déat en allant pérorer à l’université d’’été du Front national).
Je participe à partir de cette semaine à une opération lancée par les Cahiers pédagogiques, que nous appelons « antidote aux idées reçues et aux mensonges ». Un vaste travail qui nous mènera aux élections présidentielles. D’ici là, on pourra reprendre les mots de la catilinaire de Cicéron : « quousque tandem abutere patientia nostra », en pensant à tous ces pamphlets, ces lamentables articles de procureurs en tous genre, dont le dernier en date est sur le point de paraitre (« Ils ont tué l’école »- on a envie de répondre qu’il y en a qui « tuent le bon journalisme », madame Barjon rejoignant ainsi les Cognard, Polony, etc. dans la médiocrité méprisable). J’aurai l’occasion d’y revenir…
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Cher Jean-Michel,
Puisque les Cahiers pédagogiques semblent avoir décidé de se lancer dans la lutte contre les mensonges et les approximations, je me permets d’apporter ma pierre à ce vaste édifice.
Afin que l’argumentaire soit équilibré, je n’ajouterai rien à la dénonciation de celles et ceux qui parlent de l’école parfois sans rien en connaître : c’est quelque chose que vous faites très bien et dont il faut vous remercier.
En revanche, je vous propose, pour vous aider dans cette courageuse traque aux mensonges, un petit recueil de verbatims, pardon de transcriptions fidèles des déclarations orales mensongères faites par le Ministère pour vendre sa réforme du collège aux médias et au grand public.
http://www.arretetonchar.fr/operation-mensonges-et-approximations-sur-la-reforme-du-college-2016/
Avec l’honnêteté intellectuelle et le sens de l’équité qui sont les vôtres, je pense que vous n’hésiterez pas à dénoncer aussi les mensonges et approximations des personnes aux responsabilités
Me concernant, vous parlez de « hargne » et je vous félicite pour le choix judicieux de ce terme. En effet, j’espère bien conserver encore longtemps cette « ténacité coléreuse » pour essayer – par des controverses ou par d’autres moyens – d’ouvrir les yeux de ceux qui sont aveuglés, par leur méconnaissance de l’école, leurs certitudes sans fondement ou leurs choix politiques (parfois les trois).
Il est d’ailleurs étonnant qu’il faille autant de hargne pour faire admettre à ces gens si bien-pensants et si bien informés qu’un EPI (Enseignement Pratique Interdisciplinaire) Langues et Cultures de l’Antiquité en 5ème sur « la chevalerie au Moyen-Âge » (je pourrais si vous le souhaitiez vous fournir une longue liste d’EPI de ce genre proposés aux élèves cette année) n’a rien à voir avec les Langues et Cultures de l’Antiquité, et ne peut que renforcer la confusion déjà grande, pour certains élèves, dans leur représentation de la chronologie historique.
Enfin, dans un précédent billet de ce blog, vous vous éleviez – peut-être pas avec hargne, mais au moins avec véhémence – contre la bizarrerie et la difficulté des termes grammaticaux notamment du « plus que parfait (formidable : au-delà de la perfection!) ». Je passerai sur le faux sens de parfait, mais je dois vous dire que mes latinistes de 4ème sont tout à fait à l’aise avec le sens du plus-que-parfait français depuis qu’ils savent qu’à côté de l’imparfait et du plus-que-parfait, il existe en latin un parfait !
Evidemment, c’est une chose parmi beaucoup d’autres que seul un professeur de lettres (suffisamment) formé au latin et au grec pourra expliquer à ces classes de français, pour que leur apprentissage de la langue maternelle fasse sens.
Bien cordialement,
R. Delord
Les obstacles aux débats argumentés sont les suivants :
a) le format imposé par tweeter incite à échanger des piques, c’est le début de l’escalade,
b) ensuite, on passe de tweeter à des articles et des blogs où chacun développe de longs discours, un format également défavorable au dialogue qui impose une écoute active d’autrui et des échanges courts (une idée ou un problème à la fois, un ou deux arguments, un ou deux exemples analysés, à l’appui) et surtout la capacité de poser des questions du type « comment expliquez-vous ? », quand on cherche à pointer les faiblesses de l’adversaire (en évitant toute connotation agressive),
c) il faut s’abstenir de tout jugement de valeur envers les adversaires : Brighelli n’attend qu’une seule chose, c’est d’être assimilé à la Collaboration dans le but de montrer que les attaques dont il fait l’objet sont aussi outrancières que les siennes. Répondre à ses attaques par des critiques visant sa personne l’autorise à en faire de même, cela hystérise le débat au lieu de l’apaiser. Ainsi, tout le monde est renvoyé dos-à-dos. Beaucoup de citoyens peuvent conclure qu’il est inutile de produire un effort d’argumentation, la perception des débats est réduite à des échanges d’invectives. En effet, les invectives effacent les arguments de la mémoire, il ne s’agit pas d’aspects marginaux dans les échanges, même si pour nous ce n’était qu’un détail, une seule réplique piquante occulte nos meilleurs arguments et le public se persuade qu’il n’a assisté qu’à un combat de coqs.
Il est surprenant de considérer (à l’exemple de Brighelli !) que le dialogue est une utopie. Le dialogue est un art difficile, mais on peut analyser pourquoi il a échoué et tenter d’autres méthodes afin d’y parvenir. Echanger des arguments, ce n’est pas convaincre l’adversaire, cela est souvent impossible : on sait d’avance que chacun va camper sur ses positions, mais ce n’est pas grave, ce n’est pas un échec. Dialoguer, c’est se confronter à un adversaire sans « plaider hors de la cause » et sans se laisser perturber par ses passions. De là se communique une impression qui peut faire pencher des tiers dans un camp ou dans l’autre. Nos adversaires sont des réac-publicains, républicains dehors, mais favorables à l’Ancien Régime dedans, je crois que c’est suffisant, mieux vaut éviter le Point Godwin de la conversation. Ce sont des réactionnaires, je pense qu’ils peuvent être d’accord avec cela, inutile de les traiter de nazis. Il est préférable de s’en tenir à des échanges qui mettent en évidence cette conclusion en laissant chaque citoyen libre d’approuver ou de réprouver une posture réactionnaire, inutile de dire à chacun comment il doit penser et, pire encore, s’il doit penser du bien ou du mal d’Untel ou Untel, cela me semble contre-productif.
Une fois qu’on s’abstient de prononcer des attaques ad hominem et qu’on évite d’y répondre quand on est pris à partie (sauf cas prévus par la loi, sans se faire justice soi-même), on peut se concentrer sur de courtes séquences argumentatives en montrant les faiblesses et les contradictions des adversaires au moyen de questions auxquelles ils ne sont pas capables de répondre. Ils se taisent d’eux-mêmes, il ne faut pas tenter quoi que ce soit qui donne l’impression d’une tentative de culpabilisation à leur encontre : la tyrannie de la bien-pensance, ils n’attendent que cela, ils sont très à l’aise dans ce type d’échange qui ne va pas les déstabiliser. Mieux vaut les placer face à leur ignorance et à leur incompétence, en les plaçant de façon concrète et conséquente face à des problèmes qu’ils prétendent résoudre par des solutions simplistes. Pour ce faire, il faut inclure des observations et s’appuyer sur des exemples à analyser, en évitant les querelles purement théoriques. Il faut raccrocher les débats à des histoires vécues, tout en les articulant avec des connaissances sûres. Ensuite, le lecteur-arbitre est capable de juger qui est le plus sérieux dans un tel échange.
Le dialogue démocratique est donc possible, j’ajouterai : même avec des ours, tant que l’échange argumenté a lieu devant des citoyens, il faut s’en donner les moyens. Mais que faire si l’ours ne développe aucun argument, me direz-vous ? Il ne faut pas répondre à ses invectives, mais l’aider à exposer la thèse qu’il veut défendre dans une problématique, ensuite le public sera capable de se rendre compte que l’ours ne dispose d’aucun argument et qu’il raisonne à partir d’informations fausses : nul besoin de lui coller une tape sur le museau en prime !