Lorsqu’on va sur les réseaux sociaux ou qu’on consulte les commentaires de diverses publications en ligne, ce qu’on devrait d’ailleurs faire moins souvent, on peut lire des justifications d’emportements, de relâchement verbal, d’exagérations assumées, au nom d’une « sainte colère ». On a « bien le droit », non ? Droit à la mauvaise foi, à l’utilisation de citations tronquées ou de non-respect de la situation d’énonciation qui fait qu’on reprend tel quel une phrase hors de son contexte ? Le journaliste Alain Auffray de Libération le notait à propos de « petites phrases » comme les « ploucs » de Sarkozy récemment qui sont, selon lui, souvent coupées de leur contexte d’énonciation justement. Et il faut reconnaitre sans doute cela, même quand la victime ne nous est particulièrement sympathique le cas présent, c’est un euphémisme. Même chose au niveau des images qui circulent. Récemment, je vois circuler une photo du leader de FO trinquant avec le président du MEDEF, signe évident, pour celui qui la met en ligne, de l’ hypocrisie totale du syndicaliste qui fraie avec les patrons alors qu’il dénonce la loi travail, alors que la « courtoisie démocratique » fait qu’il existe des moments plus conviviaux, certes de façade, où l’on parait proche de gens qu’on combat. Rien de scandaleux là-dedans.
Mais y a-t-il des exceptions ? Est-ce qu’une frontière doit être établie qui rendrait acceptable un « démolissage de l’ennemi » (qui n’est plus alors un adversaire dans le cadre de la démocratie) ? Brecht posait la question dans un texte des années 30 où il plaide pour une attaque tous azimuts, sans scrupules envers Hitler. Tout est-il acceptable dès lors qu’on s’attaque au Front national par exemple ? Le problème est d’établir la frontière entre ce qui fait partie de l’arc démocratique et ce qui n’en fait pas partie. Mais pour ceux-là, faut-il utiliser toutes les armes possibles ? Pour ma part, je m’abstiendrai toujours d’attaques qui toucheraient au domaine privé y compris lorsqu’il s’agit de gens qui ne font pas partie du camp démocratique, lequel d’ailleurs a des frontières poreuses en ce moment. Aujourd’hui, ceux qui lancent quasiment des appels au meurtre et au châtiment contre les supposés « pédagogistes » sont passés de l’autre côté de la frontière, d’ailleurs on en retrouve certains, (j’ai corrigé par rapport au commentaire ci-dessous, pas tous bien sûr) flirtant avec le Front national. Mais on ne leur fera pas le cadeau de répondre sur le même terrain qu’eux, à la manière des commandos soi-disant antifascistes qui sont très commodes pour poser en victimes leurs ennemis.
Néanmoins, doit-on être trop pur, n’utiliser que l’arme de la raison et de la modération réfléchie face à certaines outrances, à un déchainement qui se moque des faits et de la vérité ? Il est stupéfiant de constater d’ailleurs que ceux qui ripostent souvent de façon étayée et rationnelle aux agressions sont mis dans le même sac (ils s’attaquent réciproquement). Récemment, Joffrin répondant à Dubet dans Libération sur le livre de Barjon osait affirmer que ce livre subissait des attaques outrancières (lesquelles ? celles qui relèvent ses nombreuses erreurs et son côté manipulatoire) ?
Le débat argumenté est possible avec des personnes qui ne sont souvent pas des adversaires, mais avec qui on a des divergences. Je l’ai souvent dit ici, il n’y a sûrement pas deux camps figés. Je n’assume pas tout ce qu’écrivent des personnes se réclamant d’une pédagogie progressiste et active, je le redis. Je suis particulièrement éloigné des écoles Steiner par exemple, de certaines utilisations peu approfondies des neurosciences, je n’approuve pas une systématisation d’un dispositif aussi intéressant soit-il (texte libre, situations-problèmes) et sur un plan plus idéologique, je considère que des questions comme celle de l’autorité, ou des dangers du communautarisme ne peuvent être réglées de façon simple et parfois angélique. De la même façon, je suis en divergence, je l’ai aussi exprimé, avec ceux qui pensent que tout doit venir d’en bas, qui récusent le réformisme et mettent sur le même plan des politiques que je trouve très différentes ; je peux me retrouver avec eux contre la pensée réactionnaire et identitaire. Comme je peux me retrouver avec des personnes éloignées de la pédagogie telle que je la conçois sur des questions les plus diverses, comme la lutte contre la marchandisation de l’école ou la défense (mais en fait j’aime mieux le mot « promotion ») d’une certaine culture contre le relativisme et l’envahissement de la médiocrité.
Cela n’empêche pas qu’il faut s’engager, se jeter dans l’arène, même si on a envie de se consacrer à des choses plus passionnantes que de réfuter, après lecture minutieuse, Barjon ou Coignard. Il faut riposter, réagir, sans trop de naïveté. Mais en gardant une exigence au niveau du langage, en refusant à tout prix le vieil adage jmlepeniste du « dire tout haut ce qu’on pense tout bas », refuser l’injure, rester dans une certaine nuance (sans aller trop loin). Position pas facile, mais pourquoi devrait-on choisir la facilité ?
Actuellement, les « pédagogues » baptisés de façon méprisante « pédagogistes », subissent des agressions qui dépassent la mesure, avec souvent un langage grossier et une mauvaise foi évidente. Ils ne sont plus seulement des « illuminés », des inconscients, des « idiots utiles du libéralisme » ou de la barbarie qui monte, mais bien des assassins, des complices de « bourreaux » qui ferment les yeux par exemple devant les violences dont sont victimes certains enseignants. C’est ainsi qu’une certaine Fatiah Boudjahiat, secrétaire du Mouvement républicain et citoyen et membre du Printemps républicain (qui est plutôt un hiver, mais il semblerait que cette dame n’en fasse plus partie), se permet d’attaquer nominalement des personnes comme mon ami Philippe Watrelot, Laurence de Cock ou Grégory Chambat, auteur de l’école des Réac-publicains en les accusant comme représentants de la « secte pédagogiste » de complaisance envers les bourreaux, c’est-à-dire des jeunes coupables de violences envers des enseignants ou chefs d’établissement et faisant croire que les propositions pédagogiques visant à un meilleur climat scolaire étaient « la » réponse aux violences. Les personnes accusées ainsi de manière diffamatoire se trouvent disqualifiées parce qu’éloignées du terrain, au contraire de « elle » qui connait la réalité. Comme si un pédagogue ne pouvait pas être solidaire de profs agressés, était suffisamment inconscient pour confondre nécessaire prévention de fond et indispensable répression lorsque de telles violences se produisent. Mais surtout, il est insupportable de se voir accusé d’origines sociales « bourgeoises » et de méconnaissance du terrain , alors que cette personne, et beaucoup d’autres, d’une part ignorent tout du parcours de chacun , de l’endroit où il vit, de ses origines, et d’autre part, cette disqualification à priori est signe d’un populisme exacerbé (« on parle au nom du peuple, loin de ces gens éloignés du réel, on a la parole vraie, etc. »). Comme si par exemple l’origine sociale était la clé d’un penser juste, même si c’est un facteur parmi d’autres qui peut expliquer un parcours. Blum était issu d’une famille fortunée et Hitler a vécu son enfance dans la pauvreté. Faut-il rappeler ces évidences ? On sent aussi poindre un anti-intellectualisme : le prof qui n’est pas en REP+ n’aurait pas à droit à la parole ? (mais le prof en REP+ qui ne pense pas comme la personne en question est sans doute victime des manipulations de la secte gauchiste ! pour ma part, j’en connais beaucoup qui ne pensent pas comme elle !) Ce qui est ennuyeux, ce n’est pas que des personnes à la réflexion aussi faible s’expriment sur les réseaux sociaux, c’est qu’elles soient relayées par des organes de diffusion d’une certaine importance (L’inénarrable Causeur, Marianne, le Point avec la sinistre chronique de Brighelli, etc.). Et donc la tentation de « laisser tomber » doit être surmontée. Oui, il faut riposter et ne pas se laisser faire, mais en résistant en même temps à la tentation de se placer sur le même terrain. Le but n’est pas de débattre avec « ces gens-là » (comme aurait dit un célèbre chanteur : « chez ces gens-là », on ne pense pas, monsieur, on ne pense pas, on invective !), mais de s’adresser à ceux qu’ils pourraient influencer et qui, mal informés, peuvent croire à leurs mensonges.
d’abord, je le redis, le « courant pédagogiste » n’existe pas. Ce que j’ai écrit est bien clair, je n’ai jamais dit qu’un Julliard était d’extrême-droite . Je dis qu’on n’entend plus beaucoup ces gens attaquer l’extrême-droite et notamment sur l’école (élitisme, discriminations, retours en arrière…)
si quelqu’un comprend quelque chose à ce commentaire, qu’il l’écrive!
Surtout ne pas flirter avec le FN. On se sait jamais, risque d’éblouissement et impossibilité de tout ramener à la politique quand on est enseignant gnan gnan
Où est la nuance, où est l’agressivité ?
Vous écrivez « on les (les critiques du courant pédagogique) voit plus pourfendant les pédagogistes supposés que les extrémistes de droite, tels Onfray, Julliard , etc »
Votre expression est ambigüe : Onfray et Julliard sont-t-ils des critiques du courant pédagogique ou des extrémistes de droite ?
Vous poursuivez « Je n’accuse pas ces derniers de complaisance pour le FN ». Ouf, on a eu peur.
Mais vous continuez « mais à force de porter tous leurs coups dans un sens, ils finissent par conforter le FN, comme Elisabeth Badinter qui ose donner un certificat de laïcité à Marine Le Pen ».
Autrement dit critiquer le courant pédagogique, c’est « conforter le FN ».
Cette affirmation n’est ni justifiée ni justifiable. Ce n’est pas de l’ordre de l’argumentation, mais de l’amalgame à usage idéologique.
Je reviens sur la phrase du commentaire précédent selon laquelle notre « courant » (celui de Jean-Michel Zakhartchouk est aussi le mien) bénéficierait de « l’écoute attentive et complaisante des autorités de tutelle ».
Que nos idées et propositions soient écoutées avec attention, de la part du ministère comme de beaucoup d’autres acteurs de l’éducation, me semble être la conséquence logique du fait qu’elles sont argumentées, réfléchies, nuancées, appuyées sur les meilleures recherches et sur l’expérience des enseignants de terrain qui sont nos militants, une bonne partie des auteurs de nos articles et dossiers, et nos lecteurs.
Que, de la part des « autorités de tutelle » (tutelle des écoles et établissements, pas de notre mouvement !), cette écoute soit « complaisante », cela me semble illogique : je ne vois pas en quoi le ministère pourrait avoir envie ou besoin de nous plaire (Robert : « complaisance : disposition à s’accommoder, à acquiescer aux gouts, aux sentiments d’autrui pour lui plaire »). On nous reproche plus souvent l’inverse … et on a tort, car si on lit bien nos propositions, on peut voir que nous ne sommes jamais dans l’approbation sans réserve, et que nous défendons toujours une position exigeante.
Quant à l’affirmation selon laquelle les « obligations de service », (je suppose que l’auteur veut parler des dispositifs et programmes mis en place par la réforme du collège ?) serait une « violence », cela signifierait donc que les textes qui régissent la fonction publique ne seraient pas légitimes et qu’un enseignant (fonctionnaire) pourrait les refuser comme une « violence » qu’on lui ferait… dès lors qu’il n’en partage pas certaines idées ? Ce n’est pas ma conception du rôle de l’école publique et de ses agents. Il me parait inacceptable de mettre sur le même plan les textes officiels qui régissent notre métier et les agressions verbales et propos injurieux adressés sur les réseaux sociaux à ceux qui défendent des idées.
Je partage certaines de vos remarques. Toutefois, vous faites de vous un portrait flatteur qui risque fort d’induire le lecteur non averti en erreur. Car en appeler au débat argumenté – et pour ma part, je ne cesse de plaider pour délivrer l’école des simplifications et réductions que le « débat » permanent dont elle est l’objet depuis 30 ans impose de manière stérile et contreproductive – donne l’impression fausse que les parties prenantes de la discussion sont à égalité en face de leur objet d’échange. Or ce n’est pas le cas, et vous pourriez commencer par reconnaître que votre « courant » bénéficie de l’écoute attentive et complaisante des autorités de tutelle, lesquelles s’inspirent de vos réflexions pour en faire les obligations de service de tous. Il y a là ce que je n’hésite pas à qualifier de violence, bien plus attestée dans ses effets sur le terrain hélas que les violences de certaines métaphores peu recherchées qui vous mettent en émoi.
« Comme quoi » avait un air , chafoin sans dout, de « c’est celui qui le dit qui y est ».
Correction apportée, dont acte.
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je ne vois pas ce que signifie ce « comme quoi… » Brighelli est à l’université d’été du front national, avec standing ovation, quand même. Certes, tous ne se retrouvent pas flirtant avec le fn, j’aurais dû écrire : « on en retrouve certains » et je le corrigerai dans ce sens. Mais on les voit plus pourfendant les pédagogistes supposés que les extrémistes de droite, tels Onfray, Julliard , etc Je n’accuse pas ces derniers de complaisance pour le FN, mais à force de porter tous leurs coups dans un sens, ils finissent par conforter le FN, comme Elisabeth Badinter qui ose donner un certificat de laïcité à Marine Le Pen (tous des gens qu’en son temps j’ai pu estimer, la Badinter historienne des femmes des Lumières, le Onfray décodant Heidegger, ou le Julliard analyste fin de la gauche. Autres temps, autres moeurs!
Dans le même texte :
« (…)refuser l’injure, rester dans une certaine nuance (sans aller trop loin) »
ET
« Aujourd’hui, ceux qui lancent quasiment des appels au meurtre et au châtiment contre les supposés « pédagogistes » sont passés de l’autre côté de la frontière, d’ailleurs on les retrouve flirtant avec le Front national. »
Comme quoi …