Cette phrase, je me souviens l’avoir entendue, notamment lors d’une formation d’enseignants autour des Itinéraires de découverte, passionnant dispositif interdisciplinaire en collège, abandonné alors même qu’il commençait à porter ses fruits. Je vantai, dans un inventaire d’approches possibles, la fécondité du « jeu » et du « ludique ».
Bien entendu qu’on n’est pas à l’école pour jouer. Et l’on sait que les fans des jeux sont parfois très méfiants sur l’introduction des jeux dans l’espace scolaire. Méfiance là aussi qui rejoint au fond celle de la collègue citée ci-dessus.
Ce n’est pas parce que jouer ne peut être une finalité de l’école qu’il n’y a pas sa place, quand on sait ce qu’il peut apporter en termes d’apprentissage, de construction cognitive, quand on sait combien le jeu peut être une aide au développement intellectuel. J’ai bien précisé « peut » et l’introduction du « jeu » à l’école, au-delà des petites classes n’est un auxiliaire pédagogique qu’à certaines conditions et que si l’on accepte qu’il perde un peu de sa « pureté » et de son orthodoxie –si j’ose dire- pour se mettre au service d’apprentissages scolaires. On pourrait alors mettre fin à cet inexorable processus d’extinction progressive du jeu à l’école de l’école maternelle à l’Université.
Toutes ces réflexions, on les trouve dans l’excellent ouvrage sur le sujet de mes deux vieux amis avec qui j’ai fait équipe dans la formation d’enseignants de l’académie d’Amiens avant que certains inspecteurs n’aient rayé d’un train de plume des années d’aventures communes d’un collectif trop indépendant et qui concevait la formation comme autrement que « descendante » et « applicationniste ». Une équipe qui osait, entre autres, proposer des formations sur « jeu et pédagogie », lesquelles rencontraient un grand succès. Mais c’est une autre histoire !
Dominique Natanson et Marc Berthou, les auteurs, profs de lycée et de collège respectivement, présentaient leur livre à la Cité des Sciences et des Techniques l’autre samedi matin lors d’une réunion publique organisée à l’initiative des Cahiers pédagogiques. En présence des chercheurs François Taddéi et Antoine Taly, dans le cadre d’un espace dédié aux jeux vidéos et d’une expo en cours.
Je renvoie aux divers liens sur cette problématique, mais voudrais ici faire deux remarques, comme je le fais sur divers sujets sur ce blog.
On peut être passionné de jeux et utiliser ce potentiel en classe. Probablement faut-il un peu l’être (passionné) pour pratiquer de manière régulière le jeu pédagogique. Ce n’est pas mon cas et j’ai finalement assez peu utilisé toutes les richesses du jeu, type jeu de société, avec mes élèves. En revanche, je crois beaucoup à une dimension ludique, son côté à la fois jubilatoire et très sérieux (respecter des règles, se plier à des contraintes, se concentrer parfois sur un petit détail….). En Français, matière que j’ai enseignée, on sait combien cette dimension peut être importante. Depuis les jeux oulipiens, les divers embrayeurs d’écriture, jusqu’aux défis-lecture avec invention de questions pour les camarades, jusqu’à cette écriture d’invention qui peut, à certains moments, et pour aider les élèves qui se disent « non inspirés », avoir recours au hasard (tirage au sort de cartes, utilisation des dés, récit épique vu comme un vaste jeu de l’oie avec obstacles et épreuves, etc.) Et quoi de plus ludique que le « jeu théâtral » bien entendu, avec toujours cette idée de « contrainte productrice », ce qui m’a personnellement infiniment plus apporté que bien des cours de français ennuyeux à en mourir, qui m’a permis de comprendre la poésie ou Corneille de façon vivante, y compris à travers des pastiches, des détournements ou des transpositions plus ou moins saugrenues. Je pense aussi à tout l’intérêt qu’il y aurait à travailler autour de l’uchronie en Histoire qui désacralise cette discipline en faisant apparaitre tous les possibles, les « événements » auxquels vous avez échappés, comme dirait Charlie-Hebdo, pour le meilleur ou pour le pire. J’ai ainsi fait écrire il y a quelques années un récit autour de l’avenir de la planète avec des histoires parallèles et modifications possibles du futur par des enfants ayant communiqué avec le futur réel « scénario noir » (intitulé Cassandre 2092 ; je peux l’envoyer sur simple demande). Certains professeurs, comme la collègue citée au début de ce billet, rejettent avec virulence cette utilisation de la fiction et de la fantaisie (pourtant bien cadrée et mise au service de vrais savoirs) en soutenant que ce serait déstabilisateur et introduirait de la confusion dans l’esprit des élèves. Je n’en crois rien, bien au contraire, cela peut permettre des appropriations en profondeur et à long terme. Quand je rencontre d’anciens élèves des années plus tard, ils se souviennent intensément de moments ludiques vécus ensemble et qui les ont marqués.
Une seconde remarque, qui se réfère à l’autre réticence, celle de l’amateur de jeux qui craint que l’école trahisse l’esprit du jeu en s’en emparant. Le jeu est subversif en ce que, notamment, pour en apprendre les règles, il faut surtout « faire ». Qui a jamais vraiment appris un jeu de cartes en écoutant de longues explications quand il est plus simple d’essayer d’abord « pour de faux ». Aux Cahiers pédagogiques, nous avions imaginé un texte parodique (écrit par Philippe Lecarme) : « si l’école enseignait la belote », en supposant de manière caricaturale, mais pas dénuée de lucidité, qu’on passerait beaucoup de temps dans les préalables (quels sont les cartes, définitions à apprendre, exercices technique, recours à l’historique des couleurs, etc.) avant, en fin de scolarité peut-être, de commencer à jouer. Là on doit au contraire pratiquer d’abord et peu à peu comprendre, quitte à s’arrêter pour discuter des bonnes stratégies, pour aller plus loin. Je ne prône pas le tâtonnement expérimental systématique et j’ai plutôt défendu ici même les pluralités dans les manières d’apprendre, mais tout de même, dans notre école, on cultive plus le découpage en petites unités progressives, on met de côté le « faire » et on en arrive, en particulier avec des élèves d’éducation prioritaire, à ne pas faire écrire des textes sous prétexte qu’ils ont du mal à faire une phrase ou à ne pas lire de textes longs sous prétexte qu’ils ont du mal à entrer dans la lecture. Aidant des élèves dans le cadre d’un accompagnement aux devoirs, je suis un peu effrayé par le nombre de petits exercices dénués de sens (transformer des phrases affirmatives en négatives, indiquer le temps des verbes, etc.) sans liens entre eux, sans liens avec un projet d’écriture. La dimension ludique peut donner ce sens si elle parvient à s’articuler avec une dimension cognitive, dans le cadre d’une mobilisation de ressources pour effectuer une tâche. Tiens, on est dans la définition de ce qu’est une approche par compétences.
Au fond, au-delà du plaisir qu’il peut donner aux élèves comme aux enseignants, le jeu, mais au-delà, tout ce qui est inventivité, créativité, et aussi invitation à déployer des stratégies ou à tirer parti d’atouts ou du hasard, nous sommes là en présence d’un outil précieux pour réussir ce qui est vraiment important dans la formation des jeunes : acquérir des habiletés, des prises sur le réel, une maîtrise de ce qui l’entoure. Le jeu redonne des couleurs aux compétences en les faisant sortir des cases sages et des grilles desséchantes.
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L’avantage que je vois au jeu est la complicité et l’envie de gagner qu’il instaure entre les participants. Il me semble que ce sont de bons antidotes à la passivité qui mine nos cours.
J’observe quand même que d’autres situations que le jeu permettent aussi d’atteindre ce but, le projet par exemple. Mais un projet géré comme un jeu en cours d’apprentissage, c’est-à-dire où celui qui sait jouer joue avec ou suit de près ceux qui apprennent. En effet, votre canular pédagogique de l’apprentissage de la belote pourrait être décliné dans une autre direction : des élèves à qui on donnerait un jeu de carte, qui expérimenteraient et qui découvriraient les règles du jeu de belote ! Ce sont pourtant des choses qu’on entend concernant l’enseignement des sciences.
Plus généralement, on souffre de sérieux. J’essaie de faire connaître aux étudiants et à mes collègues l’usage des BD à contenu scientifique disciplinaire. Certaines sont de véritables cours, mais elles s’appellent Manga guide… ou Cartoon guide… J’ai la complicité du service de documentation, mais certains de mes collègues me regardent avec compassion.
Merci pour cet article qui me réconforte un peu. Je serais intéressée à recevoir Cassandre 2092. J’ai travaillé l’année dernière avec des étudiants en deuxième année d’université technologique (en FLE) à l’écriture d’un roman policier en utilisant divers jeux. Nous n’avons pas pu finir ( il était semble-t-il plus important de faire des exercices structuraux ). Mais j’aimerais peaufiner le déroulement du » cours » et pouvoir l’adapter à divers âges, divers buts pédagogiques… En un mot : j’aimerais pouvoir réitérer l’expérience.
À bientôt
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